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Une avocate spécialisée dans les droits du travail divise les Dominicains

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Lorsque Sonia Pierre remporta un prix pour la défense des droits de l’homme à l’automne dernier, il y eut deux réactions diamétralement opposées en République dominicaine : « Bien joué » mais aussi « Oh, non ! »

En République dominicaine, madame Pierre est l’une des défenseurs des droits de l’homme les plus impliquées. Une femme au teint foncé qui rêve d’un pays où sa couleur – ainsi que celle de centaines de milliers de Dominicains d’origine haïtienne – ne sera plus un problème.

Carlos Morales Troncoso, ministre des Affaires étrangères dominicain, a été parmi ceux qui étaient les plus en colère après l’attribution du prix « Robert F. Kennedy Memorial Center for Human Rights » reçu par Sonia Pierre. Il écrivit une lettre au vitriol à Ethel Kennedy, la veuve de Robert Kennedy, qualifiant la lauréate de « mal informée » et de « myope ».

Carlos Morales Troncoso

« Je crains malheureusement, écrit-il, que le prix « Robert F. Kennedy » est déconnecté de la réalité au sujet de l’île d’Hispaniola et, malheureusement, il circulait de mauvaises informations au sujet des conséquences désastreuses des travaux de Mme Pierre dans ces régions». Pour lui, ses travaux salissent la réputation du pays à l’échelle internationale plutôt que de guérir les tensions raciales.

Cette lettre a été le point de départ des problèmes pour Sonia Pierre. En quelques mois, le gouvernement dominicain a commencé à mettre en doute sa nationalité et a suggéré qu’elle appartenait en réalité à l’autre moitié d’Hispaniola et qu’elle était haïtienne.

Née en République dominicaine de parents haïtiens, Mme Pierre, 44 ans, a passé sa vie à défendre les intérêts des Haïtiens et des Dominicains d’origine haïtienne soumis à la discrimination raciale dans une société qui accorde une importance démesurée aux personnes ayant le teint clair. À l’âge de 13 ans, elle organisa une manifestation dans les bidonvilles où s’entassaient les travailleurs haïtiens coupant la canne à sucre – on appelle ces bidonvilles des bateyes. Elle a grandi dans ces endroits où elle voyait quotidiennement les travailleurs haïtiens se faire exploiter et maltraiter par leurs patrons dominicains.

Sonia Pierre (1963-2011)

Ses problèmes avec le gouvernement débutèrent à partir de 2005, lorsque son organisation, le Mouvement pour les femmes Dominicano-haïtienne, porta devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme (the Inter-American Court of Human Right) le cas de deux enfants « ethniquement » haïtiens qui se virent refuser des certificats de naissance dominicains. La cour trancha en leur faveur, ordonnant au gouvernement dominicain de fournir les certificats de naissance et de payer 8000 $ en dommages et intérêts à chacun des enfants.

La Cour interaméricaine ne pouvait faire autrement. En effet, la constitution dominicaine accorde automatiquement la citoyenneté à toute personne née sur le sol dominicain, à l’exception des enfants de diplomates ou de ceux « en transit » dans le pays. Ce qui signifie que depuis fort longtemps, les enfants des Haïtiens arrivés dans le pays pour travailler, légalement ou illégalement, acquiert la nationalité dominicaine.

Mais après cette décision, la Cour suprême de la République dominicaine statua que les travailleurs haïtiens seront désormais considérés comme étant « en transit » et que leurs enfants n’auront donc pas le droit à la citoyenneté automatique. (Ces enfants ont déjà droit à la citoyenneté haïtienne puisque Haïti accorde la citoyenneté aux descendants d’Haïtiens, sans tenir compte de l’endroit où ils sont nés)

La décision a été décriée par divers groupes de défense des droits de l’homme qui affirment que des représentants du gouvernement ont ainsi commencé à remettre en cause de la citoyenneté de nombre de Dominicains d’origine haïtienne en les plaçant sous la menace d’une expulsion. Les fonctionnaires dominicains répondent qu’il n’y a qu’une seule personne à blâmer pour cette répression : Mme Sonia Pierre.

Elle, de son côté, rétorque à cette affirmation en précisant que le problème est en réalité lié au racisme et certainement pas à ses efforts pour y mettre fin.

La race est une question complexe en République dominicaine, pays où une grande partie de la population ont des ancêtres qui étaient des esclaves africains déportés dans l’île. Cependant, peu de Dominicains se considèrent comme des Noirs. Mme Sonia Pierre nous rappelle que, dans ce pays, c’est un honneur pour un Dominicain au teint clair de revendiquer devant une personne au teint foncé qu’il a l’ « âme d’un Blanc ». Dire de quelqu’un qu’il « pense comme un Noir », dit Mme Pierre, équivaut à traiter une personne d’être une « ignorante ».

« À la télévision, les domestiques sont toujours des Noirs et les modèles sont toujours des Blancs », jure t-elle.

L’ambassade américaine a récemment demandé aux membres de son personnel de ne plus fréquenter l’une des plus populaires boîtes de nuit de Saint-Domingue, le Loft, car des diplomates africains-américains se sont vu refuser l’entrée alors que les videurs laissaient entrer les diplomates blancs qui les accompagnaient. Cette affaire n’a pas surpris du tout Mme Pierre.

«Je suis sûr qu’ils ont dû les prendre pour des Haïtiens », lance t-elle, elle qui parle espagnol ainsi que le créole haïtien. Dans son bureau, elle est tel un volcan en ébullition, n’hésitant pas à avoir deux conversations téléphoniques en même temps.

L’« Haitianisation » est le nom que les Dominicains donnent aux influences négatives que les Haïtiens miséreux transportent dans leur pays. M. Morales, le ministre des Affaires étrangères, expliquait dans sa lettre de protestation contre le prix de Mme Pierre que son pays ne pouvait pas gérer le trop grand nombre de clandestins haïtiens. Il a ainsi mis en accusation les États-Unis ainsi que d’autres pays qui ne faisaient rien pour améliorer la situation en Haïti.

M. Morales a omis de préciser qu’à l’instar des Haïtiens qui travaillent dans les secteurs les plus prospères de l’économie dominicaine, de nombreux Dominicains émigrèrent aux USA à la quête d’une vie meilleure – parfois légalement, parfois illégalement.

Alors même que les Haïtiens sont rejetés, Mme Pierre démontre que l’économie dominicaine repose presque totalement sur eux. Ces travailleurs haïtiens sont présents sur tous les chantiers de construction de la capitale, y compris dans celui du nouveau métro qui est un projet personnel du Président Leonel Fernández.

Le bureau de Mme Pierre, situé juste en bas de la route menant au palais présidentiel, est devenu le Q.G des Dominicains d’origine haïtienne voyant leur nationalité dominicaine remise en question.

Dernièrement, une mère qui avait tenté d’obtenir une carte d’identité du gouvernement pour sa fille de 19 ans, eut la surprise d’apprendre que sa fille – pourtant née en République dominicaine – était en fait une étrangère. La situation scolaire de la jeune fille dépend totalement de l’obtention de sa nationalité dominicaine.

Un père, professeur d’anglais d’une école publique dominicaine, est arrivé au bureau de Sonia Pierre après avoir essayé pendant cinq mois d’obtenir un certificat de naissance pour sa fille. «Je suis aussi dominicain qu’ils ne le sont », a t-il dit, ajoutant avec rancœur que le gouvernement délivrait désormais des certificats de naissance rose pour les enfants qu’il soupçonnait d’être étrangers alors que des certificats blancs étaient remis aux enfants dominicains.

Dans le cas de Sonia Pierre, les fonctionnaires dominicains ont mis en doute sa nationalité en soulignant les disparités dans son dossier. Si son nom est inscrit « Solain Pie » sur son certificat de naissance, Sonia Pierre l’explique par l’erreur des fonctionnaires dominicains. Elle souligne que son vrai prénom est Solange (Sonia est un surnom) alors que Pierre est son nom de famille.

Ses deux parents, poursuit-elle, étaient des Haïtiens arrivés en République dominicaine pour travailler. Sa mère eut deux enfants en Haïti et tous deux y demeurent. Elle en eut douze en république dominicaine : «Je ne suis pas haïtienne, peu importe ce que dit le gouvernement…Mes parents l’étaient, certes, mais moi je ne le suis pas. Je suis dominicaine et j’ai les mêmes droits que tout citoyen de critiquer mon pays »

By MARC LACEY 29 septembre 2007, New-York Times

Traduit par Kahm Piankhy

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