« Oh ! nous savons bien que les Noirs de l’État libre du Congo, les esclaves de S.M le roi des Belges ne sont pas moins cruellement torturés. Nous savons bien qu’en Afrique, en Asie, de toutes les colonies, à quelque peuple qu’elles appartiennent, montent les mêmes plaintes, les mêmes hurlements de douleur vers le ciel sourd. Nous savons, hélas ! cette vieille et terrible histoire. Voilà quatre siècles que les nations chrétiennes se disputent entre elles l’extermination des races rouge, jaune et noire. C’est ce que l’on appelle la civilisation moderne.
Les Blancs ne communiquent avec les Noirs ou les Jaunes que pour les asservir ou les massacrer. Les peuples que nous appelons barbares ne nous connaissent encore que par nos crimes. (…) il nous importe, à nous Français, de dénoncer avant tout les crimes commis en notre nom ; il y va de notre honneur (…).
À notre tour, et sans nous lasser, nous dénoncerons les exactions et les crimes commis par l’administration des colonies françaises. Nous les dénoncerons avec l’aide de ceux des administrateurs coloniaux – et il y en a, et leur nombre est grand – qui, sous un climat perfide, dans la solitude mauvaise, se sont gardés de la mélancolie, de la fureur, des perversions mentales, des terreurs et des hallucinations homicides, et ont su demeurer justes et modérés.
Impérieusement et sans nous lasser, nous réclamerons la répression des crimes et la reforme d’un régime qui les a favorisés ou permis.
Impérieusement et sans nous lasser, nous demanderons pour les Jaunes et pour les Noirs de notre empire colonial le respect des droits de l’homme. Nous demanderons justice au nom de l’humanité que l’on n’outrage pas en vain ; au nom de la patrie dont on sert mal les intérêts par cette barbarie coloniale. »
Anatole France, discours anti-colonialiste, janvier 1906