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Pourquoi une nouvelle génération métissée ne mettra pas fin au racisme

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Le 23 janvier 2017, la top model Chrissy Teigen, « déesse du foyer » et troll n°1 de son mari John Legend, décida de s’amuser aux dépens de Richard Spencer sur Twitter. Spencer, désormais célèbre pour avoir reçu un coup de poing lors de l’inauguration présidentielle du 20 janvier, tentait de sauver son honneur blessé avec une « sélection de citations de Nelson Mandela ». Le tweet auquel Teigen répondit s’avéra être une citation du psychanalyste suisse Carl Gustav Jung. « Je ne suis pas ce qui m’est arrivé. Je suis ce que je choisis de devenir » tweeta Spencer. Réponse de Teigen : « Tu es devenu quelqu’un qui a pris un pain dans la gueule ».

Quand Spencer tenta d’humilier Teigen en insinuant qu’elle n’était pas assez cultivée pour reconnaître une citation de Mandela (laquelle, encore une fois, n’était pas de Mandela), Teigen répondit : « Tu es littéralement un nazi. Je n’ai même pas besoin d’essayer d’avoir de la répartie. Merci, nazi ! » Entre temps, Teigen avait tweeté à ses abonné-es, sans @réponse « Hé les gens, je suis en train de taper la discute avec un authentique nazi là. Et vous, sinon ? », suivi de « Rien de ce que je pourrais lui dire ne lui mettra plus les nerfs que le fait que j’ai un bébé noir/asiatique/blanc. La vie est belle. »

Teigen en sortit triomphante. Elle l’avait dit sans fard, rien ne pouvait faire enrager un suprématiste blanc autant qu’un enfant tellement métissé [multiracial] que son identité requiert deux slashes. Son tweet suggérait que le métissage [multiraciality] est non seulement l’antithèse du racisme, c’est carrément de la kryptonite à nazis — et si on en croit la dynamique du réseau social, la twittosphère confirmait. Avec plus de 60 000 retweets et likes, la punchline de Teigen reçut plus d’activité que tout le reste de l’échange réuni.

Un mois plus tôt, Ellen Pompeo de la série Grey’s Anatomy mobilisa son mari noir et ses enfants métis dans une manœuvre similaire, quoique dans des circonstances légèrement différentes. Critiquée pour son emploi d’emojis noirs dans un tweet applaudissant la décision de A&E de remanier sa série documentaire (depuis déprogrammée) sur le Ku Klux Klan, Pompeo rétorqua a ses abonné-es « Vous réalisez que… être mariée à un homme noir et avoir des enfants noirs fait de vous une cible pour les blancs racistes, non ? C’est une réalité ». En réponse à l’invective d’un utilisateur (« LA BLANCHE, TU LA FERMES »), elle tweeta « La blanche qui a un mari noir et des enfants noirs, mon chou ».

Dans leur contexte respectif, les tweets de Teigen et Pompeo semblent très différents, voire complètement contradictoires. Chrissy Teigen rabat son caquet à un suprématiste blanc revendiqué et repart en sautillant avec sa superstar de mari noir et leur enfant métis ; alors que Pompeo invoque son mari noir et ses enfants pour parer la critique. Et pourtant, de façon très similaire, toutes deux invoquent une relation interraciale (implicite pour Teigen) et des enfants métissés comme antidote du racisme. Qu’elles puissent toutes deux formuler ce même raisonnement avec une telle concordance, manifeste un engouement généralisé dans notre culture pour les unions mixtes et leur produit hétéronormatif, des enfants métissés. Dans la pub, au cinéma, et à la télévision, se dessine une préférence largement partagée pour les personnes à l’allure métisse, qui s’accompagne de la croyance qu’elles représentent un avenir politique utopique. Pourquoi les enfants métis fonctionnent-ils si souvent comme l’antonyme du racisme ? Quelle est la valeur politique des relations mixtes ? L’idée que des bébés couleur café au lait vont sauver le monde est à la mode. Malheureusement, c’est un mythe.

Régulièrement, cette photo d’une belle femme à la peau sombre et aux yeux noisette circule sur internet, photo accompagnée en légende d’une variation de « Voilà à quoi ressemblera l’Américaine moyenne de 2050. Et c’est magnifique ». Ce mème — qui comme tout mème a connu les reprises les plus puériles — trouve son origine dans un article du site Mic relayant un dossier publié en 2013 pour le 125ème anniversaire du magazine National Geographic dédié au paysage multiracial des États-Unis, intitulé « L’Amérique change de visage ». La photo est un portrait de Jordan Spencer, une femme de Grand Prairie (Texas) qui s’identifie, nous dit le magazine, comme « noire/biraciale ».

Il est indéniable que la population américaine qui s’identifie comme multiraciale est en augmentation, comme l’indiquent les données du Bureau du Recensement étasunien — lequel a ajouté une case « plusieurs races » sur ses questionnaires en 2000 — mais aussi la prolifération de néologismes hybrides qui rendent compte d’identités ethniques et raciales mixtes : « Blasian », « Wasian », « Blackanese », « Filatino », « Korgentinian », « Blaxican », etc. Face à une Amérique de plus en plus multiraciale, la question s’impose : comment le racisme va-t-il s’adapter à des personnes qui ne rentrent plus dans des cases bien précises ? Où vont les discriminations, tout particulièrement la négrophobie, dans un contexte d’ambigüité raciale ?

Black, White, Other Biracial Americans Talk About Race and IdentityLisa Funderburg, autrice du dossier du National Geographic et du livre Black, White, Other: Biracial Americans Talk About Race and Identity (« Noir-es, blanc-hes, autres : des Américain-es biraciales parlent de race et d’identité »), reconnaît que les identités multiraciales restent soumises à des catégorisations raciales rigides, telle que la « règle d’une seule goutte » — qui explique que des visages « ambigus noirs-blancs » soient habituellement perçus comme noirs — mais imagine tout de même que les unions interraciales nous rapprochent d’un avenir progressiste. Celles-ci sont « une opportunité », écrit Funderburg. « Lorsqu’on ne pourra plus caser les gens dans des catégories familières, ça nous forcera peut-être à revoir nos définitions actuelles de race et d’identité, nos préjugés sur qui est le « nous » et qui est le « eux ». Elle conclut par une citation d’un poème de Walt Whitman, un homme dont l’ambivalence envers les personnes noires aux USA se manifeste dans une « vision d’une république idéale, multiraciale » : « Je suis vaste, je contiens des multitudes ».

Les couples mixtes du « futur » servent souvent comme preuve que nous sommes effectivement en train d’accomplir des avancées progressistes concrètes — a fortiori quand on compare avec les décennies de prohibition légale des unions sacrées entre personnes blanches et personnes racisées [people of color]. Cette évidence repose bien entendu sur le présupposé hétéronormatif selon lequel ces couples produiront bel et bien des enfants diversifiés, et qu’il s’agit bel et bien d’enfants futurs. Le Race Card Projet, une collection numérique de phrases de six mots sur le thème de la race, contient de nombreuses contributions sur les relations interraciales. Celles-ci évoquent souvent le conflit avec des attitudes sociales trop poussiéreuses pour tenir compte de relations amoureuses modernes. « Sans peur dans un mariage interracial » dit l’une d’elle ; « Les conséquences d’aimer des mecs noirs » dit une autre. La mixité raciale, à son tour, a similairement tendance à être présentée comme hors du temps — pour le meilleur et pour le pire. Une contribution déclare ainsi : « L’avenir appartient aux HYBRIDES ».

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