Le 27 avril 1848, l’article 5 du Décret relatif à l’abolition de l’esclavage précise que « L’Assemblée nationale réglera la quotité de l’indemnité qui devra être accordée aux colons ».
La République abolissait ainsi l’esclavage mais considérait que les colons esclavagistes devaient être les seuls à être indemnisés. À la tête de la Commission d’Abolition de l’esclavage, Victor Schœlcher a beau essayer de faire entendre ses propositions pour prendre des mesures en faveur des esclaves, la Commission les rejeta à la majorité. Parmi les membres qui la composent et rejettent cette idée on trouve entre autres l’écrivain-historien Alexis de Tocqueville ou l’homme politique François-André Isambert.
Ils sont pourtant présentés comme anti-esclavagistes alors qu’ils ne visent en réalité qu’à préserver les intérêts et la suprématie des colons qu’ils perçoivent comme les Guides naturelles des colonies françaises.
Une question embarrassante se pose : le droit de vote immédiat doit-il être accordé au nègre nouvellement libre et doit-on en faire un citoyen français à part entière ?
La majorité des membres de la Commission s’y oppose aussi. Les arguments utilisés par ces Républicains abolitionnistes sont quasiment tous d’ordre raciste. Schœlcher raconte que pour nombre d’entre eux, les Nègres ne sont pas aptes à encaisser une citoyenneté à part entière car « les nègres sont de grands enfants, aussi peu capables de connaître leur droits que leurs devoirs » (sic). Pis encore,« A la Martinique, ce serait 30.000 électeurs de plus, votant sans conviction.»
Pour d’autres comme l’avocat François André Isambert, « conférer à la race nègres les droits métropolitains » reviendrait tout simplement à leur accorder « une incapacité civique au-dessus du développement actuel de leur intelligence ». Là Commission est obnubilée par le maintien de la suprématie des colons blancs, minoritaires dans les îles, et voit d’un très mauvais œil tout progrès démocratique pouvant placer les anciens esclaves ou les mulâtres au même niveau que le colons blancs.
Le gouvernement provisoire de 1848 est républicain. Il est représenté de manière collégial par un « chef d’Etat collectif » : ses plus illustres membres portent les noms d’Arago, Ledru-Rollin, Louis Blanc ou encore Lamartine. Ils refusent eux aussi d’entrevoir la moindre mesure en faveur des esclaves. Que ce soit pour le gouvernement aussi bien que pour la Commission d’Abolition, les principales victimes de l’abolition de l’esclavage sont d’abord et avant tout les propriétaires d’esclaves qui se voient privés de leur propriété.
Suite à cette abolition, une Commission de l’Indemnité Coloniale vit le jour entre juin et aout 1848. Schoelcher y siège malgré sa démission retentissante de la Commission d’Abolition de l’esclavage.
François-André Isambert, avocat « abolitionniste » (sic)
Sur l’indemnisation, rappelons les principes de Schoelcher : il est pour l’indemnisation des planteurs sauf ceux ayant posséder des esclaves « dit de traite », c’est-à-dire illégalement pendant l’interdiction de la traite. Mais là aussi, la Commission n’entend rien de ses positions et veut inclure les propriétaires d’esclave “dit de traite”. Ce qui sera fait.
La mesure coute 126 millions de francs à l’État qui indemnise les anciens bourreaux. Mieux encore, le travail forcé est imposé dans les colonies. En Guyane, il prend par exemple la forme d’un engagement de douze ans pour les anciens esclaves qui se voient obligés de travailler sans salaire. En d’autres termes, c’est tout simplement le retour légalisé d’une forme d’esclavage.
Texte de Kahm Piankhy – aout 2016
Sources :
Aimé Césaire : Victor Schoelcher et l’abolition de l’esclavage: suivi de trois discours
Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, Numéros 132 à 136